• Extrait du Sang des Mor : Chapitre 2

     

    Chapitre 2 : Gloire et infortune

     

    Il resta longuement agenouillé près du corps du guerrier Mor, les larmes aux yeux, réalisant à peine ce qui lui arrivait. Il avait gagné.

     Aylin et lui allaient être libres. 

     

     

     

     – Gloire à Shaïn, le Faucon d’Aurah !

     Le public scandait son nom depuis maintenant cinq minutes, tandis que Shaïn se voyait remettre la bourse d’or et un diadème doré avec le faucon emblème du Dieu Sore, dieu de la royauté. La symbolique de sa liberté retrouvée et de son élévation dans la société en tant que jeune noble guerrier. Désormais, il serait libre d’aller et venir dans les douze régions de l’Empire, de posséder des terres et de prendre épouse. Sa carrière en tant que garde, puis gladiateur, venait de prendre fin après plus de quatre ans de servitude. Des larmes de bonheur roulèrent sur ses joues, tandis que sa poitrine se gonflait. Il frissonnait, malgré la chaleur. Libre ! Il était un homme libre !

    Cela ne l’empêchait pas de grimacer de douleur : le coup de pied que le Mor lui avait donné dans les côtes lui avait sûrement fêlé un os. Et il serait couvert d’hématomes demain. Un de ses anciens camarades lui passa un peu de baume à mettre sur sa lèvre fendue, il l’accepta avec reconnaissance.

    Ishan, le maître de l’arène, s’approcha de lui, son crâne poli scintillant à la lumière de l’astre du jour. Il lui donna une longue accolade.

     – Tu fus mon meilleur guerrier. Si un jour cela te tente, deviens mon successeur.

     Shaïn eut un sourire :

     – Tu ne pouvais me faire proposition plus généreuse, Ishan. Mais mon destin est ailleurs. Je ne compte pas rester à Aurah.

     Ishan approuva d’un signe de tête :

     – Le petit faucon a toujours voulu s’envoler au loin, n’est-ce pas ? Puisse le soleil éclairer toujours ta route, Shaïn.

     – Il l’éclairera.

     Essuyant ses larmes du poing, Shaïn se dirigea droit et fier vers la sortie de l’arène.

     La nuit tombait lorsque Shaïn échappa enfin aux nobles venus le saluer. Suite à cela, il se rendit dans les thermes de l’arène. Il se lava avec un savon d’huile de baies de Kirmiz, peigna soigneusement ses cheveux noirs, les attacha, ne laissant que deux mèches encadrer son front. Il put enfiler un sarouel et une élégante tunique noire brodée d’argent avant de quitter ce lieu où il ne reviendrait jamais.

     

     Dans les lueurs dorées du crépuscule, les collines entourant Aurah brillaient comme du cuivre. La fraîcheur n’allait pas tarder à se faire sentir et les gens ne circulaient plus dans les rues, préférant s’installer dans les patios pour boire des infusions épicées ou des bières altaniennes traditionnelles. Certains marchands traitaient encore des affaires tardives, d’autres pliaient leurs tapis. Les vendeurs d’épices refermaient leurs sacs, mais ceux-ci laissaient encore échapper leurs effluves de cumin et de safran. Sur la grande place, une élégante fontaine en forme de pyramide crachait de longs jets d’eau, offrant une source de fraîcheur lorsque le soleil brûlait. Derrière elle, on pouvait apercevoir plusieurs petites rues serpentines qui menaient aux quartiers résidentiels. Des statuettes de chats couleur d’ébène les longeaient, hommage à Batis, déesse altanienne protectrice des foyers.

     Sur la droite, une allée entourée de magnolias menait à un petit parc.

     Longeant le grillage alourdi d’ipomées rouges, il continua toujours sur la droite, arriva jusqu’à une élégante muraille en pierre. Au-delà se trouvaient les jardins du palais impérial, dont la plus haute tour était visible si l’on levait assez la tête. Le palais était entouré de trois murailles au total, et la plus longue d’entre elles fractionnait une partie de la ville en deux, offrant une agréable promenade. Mais ce n’était pas là son seul intérêt.

     Shaïn s’approcha du carré de fleurs collé à la muraille. Un bosquet de figuiers masquait une partie de l’édifice de pierres. Une silhouette parut soudain jaillir du sol pour se positionner face à lui. Le cœur de Shaïn s’emballa instantanément, et un nouvel éclair de joie lui déchira la poitrine.

     Aylin détacha immédiatement le voilage bleu turquoise parsemé de sequins qui couvrait sa tête. À peine Shaïn aperçut-il ses grands yeux bleu sombre qu’il ne put plus se contenir. Il franchit d’un bond la courte distance qui les séparait. Elle lui saisit la main avant de l’entraîner contre le pan de mur plongé dans la pénombre.

     Sa peau était toujours aussi douce. Sa bouche toujours aussi habile à éveiller en lui des sensations désordonnées. Il l’embrassa passionnément, sa main fourragea dans ses cheveux, défaisant l’épais chignon qui la coiffait. Elle gémit contre sa bouche. Le temps se suspendit.

     Et reprit son cours lorsqu’elle mit fin à leur baiser.

     – J’ai affronté le Mor, chuchota Shaïn. J’ai affronté le Mor et je l’ai tué. Je suis libre, Aylin. Nous sommes libres !

    – Quand ? se contenta de demander la jeune femme.

     Sa voix tremblait d’angoisse. Shaïn s’attendait à une réaction de joie. En contemplant d’un seul coup le front plissé d’Aylin et en entendant une telle alerte dans son ton, il eut l’impression de recevoir un seau d’eau glacée.

     – Que s’est-il passé ? lui demanda-t-il.

    – Mon père a été vaincu par les Katanash ! Yanra me l’a annoncé ce matin.

      Shaïn aurait reçu un coup dans l’estomac qu’il en aurait été moins affecté que par la nouvelle que venait de lui apprendre la jeune fille.

    – Pour quelle raison es-tu encore en vie ? demanda-t-il avec appréhension.

    – Il semble qu’elle n’ait pas encore eu le temps de s’occuper de mon cas. Mais je serai sûrement morte avant la fin de la semaine…

     Cela chamboulait tous leurs plans, songea Shaïn, mais au moins, il avait l’argent nécessaire même à une fuite d’urgence. Seulement, il ne pouvait pas l’emmener dès à présent : les gardes les rattraperaient et les tailleraient en pièces sans qu’ils n’aient le temps d’atteindre le désert.

     – Écoute Aylin. Voici ce qu’on va faire. J’ai gagné de l’argent aujourd’hui, énormément d’argent. Je vais contacter les Ombres de Lay. Je pourrai ainsi avoir une petite assistance. Et demain soir, je t’enlève.

    – C’est de la folie ! Et demander de l’aide à des assassins…

      Shaïn grimaça.

     – Ça ne me plaît pas non plus, mais c’est notre seule option. Les Ombres ont la réputation de toujours respecter leurs contrats, pourvu que la somme convenue soit payée. Je vais les engager pour qu’ils m’aident à t’enlever. On ira jusqu’à Port-Aya et de là, on prendra un bateau pour les Îles Noires.

     Les yeux d’Aylin se remplirent de larmes.

     – Je ne sais pas si je serai encore vivante demain soir…

    – L’impératrice est une garce sanguinaire, répliqua Shaïn, mais elle ne peut pas jeter la fille d’Altanir Gunsan dans un cul-de-basse-fosse sans justification. Tu es sa nièce. Les princes des autres régions désapprouveraient, surtout ceux qui envisageaient de demander ta main. Certes, si tu demeures trop longtemps ici, il t’arrivera quelque petit accident suffisamment bien orchestré pour qu’elle ne soit pas soupçonnée, mais pas tout de suite. Je pense que d’ici à demain soir, ça ira. Toutefois, comme on est jamais trop prudent…

     Il tira de son sac de la viande séchée et des dattes, souvenir de son temps dans l’arène et provisions éventuelles de voyage, puis lui tendit une petite gourde d’eau.

     – De quoi tenir jusqu’à demain soir. Ne mange rien, ne bois rien venant du palais en attendant.

    – Shaïn, tu vas vraiment venir me chercher demain soir ? Tu me le jures ?

    – Évidemment. Ai-je vraiment besoin de jurer ? souffla-t-il en encadrant son visage de ses mains. J’ai tué un Mor pour toi aujourd’hui. Pour nous. Pour pouvoir nous garantir une vie paisible. Et je tuerais un million d’hommes et de Mor, encore, s’il le fallait, pour ne pas être séparé de toi. Tu es ma vie Aylin, depuis le premier jour où nous nous sommes connus, et où j’ai juré de servir ta famille avant qu’elle ne soit décimée. Tu es ma vie, mon âme, mon espoir. J’ai dit que je viendrai demain soir, et je viendrai. Rien ne t’arrivera. Nous irons aux Îles Noires, là où personne ne nous connaît. Et tu seras ma femme…

    – Shaïn…

    Les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer moururent sur ses lèvres, tandis qu’il l’embrassait à nouveau. Le soleil avait totalement disparu derrière les collines. Les voici seuls et dissimulés à la vue d’intrus.

     Shaïn hoqueta lorsque la main d’Aylin défit sa ceinture. Lui-même glissa les siennes dans les pans de la jupe-voile d’Aylin, écarta les tissus protégeant son intimité. Enfin, il attrapa ses cuisses et la souleva.

    Ils continuèrent de s’embrasser tout au long de l’acte, ne laissant échapper que quelques gémissements de plaisir étouffés. Lors de certaines nuits, avant que son père ne parte mener la guerre contre les Katanash, Aylin avait pu s’éclipser et ils avaient connu bien des moments de complète extase. Mais jusqu’à présent, jamais Aylin n’avait imaginé qu’elle pouvait jouir aussi fort et aussi rapidement. Elle en eut les larmes aux yeux, tandis que Shaïn lui mordait la lèvre inférieure sous l’effet de la délivrance.

     La liberté sexuelle était totale dans l’Empire. Selon les principes d’Isat, toute femme et tout homme célibataire était libre de se conduire comme il lui plaisait. Nombre de princesses n’étaient pas vierges lors de leur mariage. Mais la liaison d’une noble avec un gladiateur aurait provoqué un énorme scandale et une honte pour sa famille. Le bas peuple et l’aristocratie ne devaient pas se mélanger. Le principe de pureté du sang des nobles, les serviteurs des dieux, ne pouvait tolérer le risque d’enfants bâtards. Shaïn et Aylin y risquaient leurs têtes.

     Mais Aylin, en tant que dernier obstacle pour le règne total de l’Impératrice Yanra Gunsan,  ne se souciait plus d’un tel détail. Autant pour Shaïn qui risquait sa vie dans l’arène. Ils savaient tous les deux que leurs jours étaient comptés.

    À présent, Aylin gardait les yeux fermés tandis que Shaïn posait des baisers partout sur son front, son long nez délicat et ses lèvres, avec une infinie tendresse. Il savait qu’ils allaient déjà devoir se quitter, mais il mourrait d’envie de prolonger l’instant. Elle finit cependant par le repousser.

     – La relève des gardes est dans quelques instants, chuchota-t-elle. Il faut que je regagne ma chambre avant que quiconque ne s’aperçoive de mon absence…

     – Courage, ma belle et douce Aylin, murmura Shaïn. Je ne t’abandonnerai pas…

     Après un dernier baiser, la belle princesse rejoignit le passage secret.

     Le lendemain, Aylin était morte.

     

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